La légalisation du cannabis à travers le monde

Exitable
10 Sep 2019

Big Marijuana

Quand le deal est légal » est le titre du documentaire récemment diffusé sur la chaîne Arte. Loin des reportages racoleurs de Bernard de la Villardière sur M6, le documentaire explore en profondeur les differents modèles de légalisation. Ecrit par les réalisateurs, le livre est le complément du documentaire et permet d’approfondir encore le sujet. Les auteurs ont eu les moyens d’enquêter dans une dizaine d’états où ils ont pu découvrir le nouveau monde du cannabis, dominé par les multinationales : « Le cannabis est entré de plain-pied dans l’économie de marché et rattrape, en quelques années, un siècle de retard. Bienvenue dans le monde de Big Marijuana! En quelques années, le monde du cannabis a totalement changé. Grâce à la légalisation du cannabis thérapeutique et récréatif au Canada et dans certains états américains, de nouveaux produits et modes de consommation sont apparus et surtout les connaissances sur la plante se sont grandement améliorées. Big Marijuana est le premier livre en français qui fait le point sur ces récentes avancées. Xavier Deleu et Stéphanie Loridon sont les auteurs du livre et les réalisateurs du documentaire qui ont nécessité un long travail d’investigation. Xavier Deuleu est journaliste et réalisateur. Il a coréalisé le documentaire « L’empire de l’or rouge » sur le business de la tomate, diffusé sur France 2. Stéphanie Loridon est journaliste et réalisatrice. Cette spécialiste de l’économie a notamment enquêté sur les grands groupes industriels et pharmaceutiques. On connaît les dégâts provoqués par la guerre à la drogue, imposée par les Etats-Unis au reste du monde. En 1961 la Convention unique sur les stupéfiants rédigée par l’ONU a permis d’interdire totalement le cannabis dans 186 pays. La mise en œuvre de cette réglementation est contrôlée par l’Organe international de contrôle des stupéfiants. Dans les décennies suivantes, les différents présidents américains ont intensifié la lutte contre les stupéfiants. « L’inventeur de l’expression ‘’guerre à la drogue’’ serait Richard Nixon, président en exercice de 1969 à 1974. Il aurait utilisé cette formule en 1969 dans un discours annonçant une politique d’éradication, d’interdiction et d’incarcération. » Dans les années 80, le président Ronald Reagan et sa femme Nancy sont en première ligne dans le combat contre la drogue. « La marijuana est probablement la drogue la plus dangereuse aux Etats-Unis aujourd’hui. » a déclaré Ronald Reagan avant son élection en 1981. L’arrivée du crack a permis de justifier le durcissement de la politique anti drogue, avec des incarcérations massives : « Avec le crack, la politique américaine bascule dans une surenchère irrationnelle. » Aujourd’hui, la situation a radicalement changé. Les Etats-Unis sont à l’origine de la prohibition du cannabis mais ce sont bien des états américains, qui ont été les premiers, après l’Uruguay à faire marche arrière en choisissant de légaliser totalement le cannabis thérapeutique et récréatif. Depuis 2012 et l’annonce surprise du président Mujica de légaliser le cannabis en Uruguay, les changements ont été très rapides. Les consommateurs et les cultivateurs s’étaient habitués à la prohibition et sont parfois déroutés par la légalisation, dont ils peuvent se sentir exclus. Le cannabis a toujours été lié à la contre culture et aux modes de vie alternatifs et à présent, des businessmen qui ne s’étaient jamais intéressés au cannabis participent à cette nouvelle ruée vers l’or vert. Partout dans le monde, les lois sont en train de changer. Le cannabis bénéficie d’une image plus positive, en particulier dans sa version thérapeutique. Depuis quelques années, differents modèles de légalisation ont été mis en place et Big Marijuana permet de faire le bilan de ces expériences qui pourraient influencer les autres pays dans les années à venir.

Michigan

A l’occasion des élections de « midterm » en novembre, les habitants de l’état du Michigan ont voté pour la légalisation du cannabis récréatif. Le cannabis a été légalisé grâce à une initiative populaire, autorisée dans 24 états sur 50. « Ce mécanisme d’initiative populaire, de démocratie participative, permet à une partie du peuple américain de dire stop à une guerre des drogues dictée, imposée et menée par ses gouvernants depuis des générations. L’absence de processus similaire en France muselle les supporters de la légalisation » Dans cet état, 252 523 signatures, soit 8 % des suffrages recueillis par le gouverneur aux dernières élections, étaient nécessaires pour déclencher le referendum. La campagne pour la légalisation a été menée par Matt Sweich, le directeur adjoint du Marijuana Policy Project, la principale organisation anti prohibitionniste aux USA « Nous devions recueillir des centaines de milliers de signatures et cela nos a coûté 783 535 dollars, soit 3,1 dollars par signature validée. » Après la qualification pour le referendum, la vraie campagne pour la légalisation a pu commencer. Plusieurs millions de dollars ont été investis dans des publicités à la radio, à la télévision et sur Internet. Les opposants à la légalisation ont eux aussi mené campagne au Michiigan. Kevin Sabet, considéré comme l’opposant N°1 à la légalisation aux Etats-Unis a financé cette campagne de terrain. Docteur en politique sociale, il travaillé pour le Bureau du contrôle de drogues à la maison blanche pour les administrations démocrate et républicaine. Le Michigan est donc maintenant le 10eme état américain à légaliser le cannabis récréatif. Les auteurs ont rencontré des dealers du Michigan pour savoir ce qu’ils allaient devenir : « Nous, on vend de tout : cocaïne, héroïne, pilules de Fentanyl, c’est la loi de l’offre et la demande.» La-légalisation-du-cannabis-à-travers-le-monde

Colorado

Le Colorado a été le premier état américain à légaliser le cannabis récréatif en 2014. Le bilan est plutôt positif et la légalisation a rapporté beaucoup d’argent à l’état. Pour contrer le marché noir, les magasins de cannabis légal (pot shops), où il n’est pas possible de consommer sur place, proposent des produits particulièrement attractifs. Les teneurs en THC ne sont pas limitées. Il est possible d’acheter des e liquids pour cigarettes électroniques, fabriqués par l’entreprise Strawberry Fields, avec des taux de THC allant de 75 à 92%. « Vous ne trouverez pas des produits aussi sophistiqués sur la marché noir, les criminels n’ont pas les moyens de les fabriquer » affirme Ethan Shean, le directeur régional de Strawberry Fields. Les prix sont également très attractifs : une once (28 g) d’OG Kush à 24 % de THC coûte 150 dollars, soit 5,53 dollars le gramme. On trouve même de la Sour Ghost en promotion à 60 dollars l’once, soit 2,14 dollars le gramme ! « Se défoncer n’a jamais été aussi peu cher. » Les auteurs ont enquêté à Trinidad, la première ville du Colorado, quand on arrive du Texas et de l’Arizona, deux états où le cannabis est toujours prohibé. « La ville deTrinidad a décidé de profiter de l’essor de cette nouvelle industrie et a accordé un total de 72 licences à des magasins et à des cultivateurs » La-légalisation-du-cannabis-à-travers-le-monde

Uruguay

L’Uruguay a été le premier pays au monde à légaliser la marijuana mais le système de vente du cannabis légal s’est mis en place progressivement. L’Uruguay a choisi le monopole d’état pour la production, l’importation et la commercialisation de la marijuana : « Le système uruguayen a de quoi rassurer ceux qui craignent les dérives commerciales » Le cannabis a été légalisé définitivement le 10 décembre 2013. Il s’agit d’une mesure courageuse pour le plus petit pays d’Amérique latine, qui compte seulement trois millions d’habitants. Le cannabis a été légalisé à l’initiative de l’ancien président José Mujica, Cet ancien guérillero d’extrême gauche était un président atypique qui reversait 90% de son salaire aux personnes défavorisées. « José Mujica a quitté la présidence en 2015 et ne s’exprime plus guère sur la réforme. Mais dans son entourage, ceux qui furent les plus actifs dans l’écriture de la loi reçoivent toujours des émissaires du monde entier. » Il existe trois moyens de se procurer du cannabis légalement en Uruguay : l’autoproduction, l’adhésion a un cannabis club ou l’achat en pharmacie. Dans tous les cas, la quantité est limitée à 10 grammes par semaine et par personne, le taux de THC est limité et les consommateurs doivent s’inscrire sur un fichier national. « La procédure a refroidi certains Urugayens hantés par le souvenir de la dictature : qui sait ce qu’un gouvernement non démocratique pourrait faire de ce ‘’fichier de drogués’’ ? C’est probablement pour ces raisons que la marché noir est toujours important en Uruguay même si le cannabis légal est très bon marché. Les cultivateurs illégaux proposent de la marijuana qui contient au moins 15 % de THC et autour de 20 % pour la plupart des variétés. « Le marché parallèle domine toujours, en raison d’un déséquilibre majeur entre l’offre et la demande. » Certains observateurs considèrent que la légalisation en Uruguay est un échec. L’objectif d’éradiquer le marché noir n’a pas été atteint. 7000 cultivateurs sont enregistrés auprès du gouvernement et 32.000 achètent leur cannabis en pharmacie.

Canada

Xavier Deleu et Stéphanie Loridon ont enquêté au Canada pour savoir à qui profite réellement la légalisation. Les licences pour la production de cannabis sont attribuées par l’organisme Santé Canada. 1500 demandes ont été effectuées et 154 licences ont été attribuées. Mais une centaine appartiennent en réalité à 5 grands groupes comme Aurora Cannabis ou Canopy Growth qui les ont rachetées. « Cinq principaux producteurs réalisent 70% des ventes. » L’argent investi dans le cannabis canadien viendrait en partie des paradis fiscaux : « L’industrie canadienne du cannabis semble condamnée à demeurer sulfureuse. » De nombreux conflits d’intérêt ont été révélés. Au Canada, les ventes de cannabis légal ont commencé le 17 octobre 2018. « Huit mois avant la légalisation, le pays comptait déjà près de 80 millionnaires du cannabis. Le produit est devenu la meilleure façon de s’enrichir. Est-ce la raison pour laquelle de nombreux membres du Parti Libéral ont quitté la politique pour se lancer dans le canna-business ? »
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